En mars 2001, les bourses de Paris, d’Amsterdam et de Bruxelles fusionnaient pour créer la première Bourse paneuropéenne, Euronext. Cette initiative qui permettait ainsi à tous les membres des trois marchés d’accéder à des milliers de valeurs cotées en Bourse à partir d’une même plateforme de cotation allait être couronnée de succès. Très rapidement, les activités de compensation (Clearing) pour les trois marchés ont suivi la même logique et se sont intégrées au sein de Clearnet. De même, les activités de règlement-livraison allaient également être harmonisées sous l’impulsion de Euroclear Bank. Et les trois marchés de produits dérivés (Belfox, EOE et le MATIF-MONEP) allaient emboiter le pas pour former Euronext Derivatives.
En 2004, la Bourse de Lisbonne rejoignait le trio qui devenait un point de référence au niveau européen. C’était l’âge d’or d’Euronext, qui n’hésitera pas à se lancer dans l’acquisition de Liffe, le marché des produits dérivés britanniques, isolant un peu plus la prestigieuse Bourse de Londres, au moment où Clearnet fusionnait de son côté avec la London Clearing House (LCH) et où Euroclear Bank rachetait CREST, l’organisme de règlement-livraison de la Bourse londonnienne. Parallèlement, la Bourse de Luxembourg et la Bourse de Varsovie optent alors pour l’utilisation des plateformes techniques d’Euronext. Toutes les conditions semblaient réunies pour parvenir très rapidement à des accords avec la Bourse de Francfort et la Bourse de Milan, alors encore indépendante, et ainsi créer une véritable Bourse européenne.
Pourtant, le miracle ne s’est pas produit. Refroidis par les échecs successifs de plusieurs négociations tant avec la Bourse de Francfort qu’avec la Bourse de Milan, et effrayés par la segmentation des marchés (et donc la perte de liquidité et de rentabilité) engendrée par la Directive Européenne MIFID qui devait entrer en vigueur le 1er novembre 2007, les actionnaires d’Euronext ont fait le pari fou de fusionner avec le New York Stock Exchange (NYSE) en 2007. Et malgré les nombreux doutes exprimés par des acteurs de marché, dont je faisais partie, la fusion a eu lieu envers et contre tout. Les craintes se sont ensuite matérialisées : augmentation de l’influence américaine au sein du groupe au détriment du modèle fédéral qu’Euronext avait mis en place, inexistence de consolidation entre les marchés des deux côtés de l’Atlantique dont les membres, et finalement les investisseurs particuliers, aurait pu profiter. Et finalement, rachat du NYSE Euronext par ICE, un groupe encore inexistant il y a à peine dix ans …
Aujourd’hui, sept ans après, le divorce est consommé et Euronext réacquiert son indépendance en revenant sur les marchés. Mais à quel prix ? Elle aura perdu dans l'aventure le Liffe, qui restera dans l’escarcelle du ICE Exchange. Et surtout, durant sept ans, Euronext aura assisté impuissante à une consolidation des marchés en ordre dispersé sur le continent européen, à l’instar de la Bourse de Milan rachetée par la Bourse de Londres, mais sans intégration réelle des systèmes de cotation ou de l’OMX, initiative des marchés scandinaves, racheté par le NASDAQ.
L’investisseur européen ne peut donc que se réjouir de cette indépendance retrouvée. Mais une indépendance pour quoi faire ? A ce titre, il me semble essentiel de souligner que le monde politique et la Commission Européenne devront soutenir toute initiative de rapprochement entre les marchés européens, et plus précisément les marchés boursiers de la zone Euro. Il faudra reprendre les pourparlers interrompus en 2007 sur la fusion des marchés boursiers européens afin de permettre une plus grande accessibilité des valeurs européennes pour les investisseurs européens. A ce titre, l’existence des MTF (Market Trading Facilities), qui livrent une concurrence féroce à Euronext et à ses homologues européens, évitera à la Commission Européenne de voir dans ces rapprochements des marchés traditionnels la constitution de positions dominantes (comme ce fût le cas lors de la tentative ratée de rapprochement entre Deutsche Boërse et NYSE Euronext il y a quelques années).
Il faudra également que les pourparlers entre Euronext et Deutsche Boërse reprennent. Si la Bourse de Londres devait revendre la Bourse de Milan ou que le NASDAQ devait revendre l’OMX, il faudra qu’Euronext soit de la partie. Il faudra qu'Euronext rencontre très rapidement ses homologues des Bourses de Madrid, de Vienne, de Varsovie, d’Athènes ou encore de Dublin pour relancer les projets d’intégration. Et il faudra finalement que ces initiatives soient soutenues, tant par les opérateurs des activités post-marchés (compensation et règlement-livraison) qui devront également rechercher des rapprochements entre eux, que par le monde politique qui devra non seulement faciliter au maximum ces discussions et ne pas se réfugier derrière des visions nationales à court terme (comme par exemple pour la localisation d’un centre informatique), mais aussi atteindre rapidement une harmonisation de la fiscalité sur les revenus mobiliers.
C’est dans ce cadre qu’Euronext 2.0 trouvera un nouvel envol et pourra redevenir ce qu’elle était avant la fusion avec le NYSE, à savoir un véritable embryon de bourse européenne ayant à sa côte les plus grandes entreprises européennes. C’est du moins mon vœux le plus cher.
Olivier Leleux
Président du Comité de Direction